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Mercredi 09 Mars 2011 09:07

Agripreneurs - Se lancer dans les affaires

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À l’heure où nombre de voies traditionnelles se ferment aux paysans ACP, l’entrepreneuriat agricole s’affirme, offrant des perspectives d’indépendance, de revenus et d’avenir que la simple agriculture de subsistance peine à fournir.

Themba Dlamini est le premier à reconnaître que lancer sa propre affaire n’a pas été chose facile. Toutefois, depuis qu’il a sauté le pas en achetant la ferme où il travaillait autrefois, le jeune agriculteur swazi a vu celle-ci se développer et a décroché un contrat d’approvisionnement – en mini-maïs, haricots, courgettes et pois gourmands – d’une grande chaîne sud-africaine de supermarchés. Themba a aussi réussi à pénétrer les marchés européens et son affaire emploie à présent plus de 100 personnes. Gugu Happiness Maphanga qui fait partie de son personnel et travaille à l’unité d’emballage confie : “Je suis la première de ma famille à avoir un emploi.”

Dans les milieux économiques, on s’accorde largement sur l’idée qu’une agriculture plus commerciale – le développement de petites agro-entreprises en particulier – est un moteur important de la sécurité alimentaire, des exportations, de la croissance et du développement économiques. Themba en est la preuve vivante : il appartient à un groupe réduit mais croissant de personnes que l’on appelle “agripreneurs” : des ruraux qui ont créé leur propre entreprise dans l’espoir de revenus et d’un avenir meilleurs.

Certains sont devenus leur propre patron par nécessité, en raison du déclin des marchés traditionnels des produits de base et de la difficulté à conserver des parts de marché face à une agriculture de plus en plus commerciale. La fin des prix garantis par les offices de commercialisation a incité de plus en plus de producteurs à réorienter leurs carrières et à chercher les meilleurs moyens pour gagner leur vie à partir de la terre. La réponse varie beaucoup en termes d’échelle et d’ambition. L’une des voies possibles est la diversification. L’agriculteur barbadien Charles Herbert a abandonné la production de sucre lorsque les prix à l’exportation vers l’UE ont commencé à chuter. Il exploite à présent 24 ha de fruits, 28 ha de légumes, 12 ha d’igname et d’autres cultures. Il s’est mis à la culture hydroponique et a décroché un contrat d’approvisionnement d’une agence de croisières. Dans certaines régions du Kenya, les paysans passent de l’agriculture et de l’élevage traditionnel à l’élevage de crocodiles : ils vendent la viande aux hôtels et à des entreprises de transformation et arrondissent leurs revenus avec la peau.

Sortir des sentiers battus

D’autres producteurs font le choix d’ajouter de la valeur à leurs produits par le biais de la transformation, de l’emballage ou d’un marketing judicieux. Eldon Serieux a abandonné la culture de bananes à Sainte-Lucie pour créer sa propre usine de confitures et gelées à base de gingembre, mangue, banane, pomme Cythère, goyave et fruit de la passion. Sa compagnie Frootsy Foods est aujourd’hui une marque reconnue à Sainte-Lucie, qui prospère aussi sur les marchés d’exportation. Dans la région nord-ouest de la Zambie, Chibbonta Chilala, riziculteur, a monté une usine artisanale de transformation où le riz blanc est emballé en sacs de 1,2 ou 25 kg, puis vendu dans un petit magasin.


Themba Dlamini du Swaziland et ses mini-légumes

Les spécialités et produits de niche sont un secteur prometteur. Certains agripreneurs valorisent un produit local soit sous sa forme traditionnelle, soit en y ajoutant un petit plus. Duane Dove, cultivateur de cacao de Tobago, associe vieux rhum et chocolat issu d’un cacao caribéen de qualité supérieure pour allécher les consommateurs européens. D’autres lancent des services dans le secteur agroalimentaire, mobilisant souvent les TIC. Sur l’île de la Trinité, Rachel Renée et David Thomas, un jeune couple, ont monté un service en ligne de livraison de légumes, après l’échec de l’installation initiale de David dans l’agriculture classique. À Sainte-Lucie, Luvette Thomas-Louisy dirige un service dynamique de consultance agricole et environnementale, qui a conçu un programme de gestion d’une maladie – la septoriose de la banane – basé sur les TIC.

Réussir en tant qu’agripreneur oblige souvent à sortir des sentiers battus, à traquer les opportunités là où d’autres ne voient que fatalité. Bien que la libéralisation et les nouvelles réglementations commerciales aient conduit au déclin de certains secteurs traditionnels, elles peuvent aussi offrir des opportunités. Un bon jugement et de bons intrants conduisent à une approche “filière” : au lieu par exemple de se contenter de faire pousser des tomates, les paysans peuvent mieux faire en les transformant en sauce. En Dominique, où les bananes ont longtemps été une culture majeure, le jeune entrepreneur Darwin Télémaque occupe une niche de marché en approvisionnant les supermarchés, hôtels et organisateurs de croisières en bananes mûres prêtes à consommer.

Changer l’image de l’agriculture

Un atelier organisé en 2008 par le CTA et l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture (IICA) a rassemblé agripreneurs actifs ou potentiels, chercheurs, experts commerciaux et décideurs politiques. Les idées de commerce qui ont émergé incluaient snacks (tels que bananes plantain frites et flocons d’igname), aliments déshydratés, aliments congelés de niche (pois d’Angole, manioc ou mangue), fabrication de compost bio et élevage de petits animaux (lapins, oiseaux ou poissons tropicaux) vendus comme animaux de compagnie.


En Guyana, une unité de fabrication de pain de manioc

L’atelier a aussi été l’occasion d’explorer des formes d’agriculture non traditionnelles (agrotourisme et tourisme culinaire, préparations et cosmétiques à base de plantes) et les services agricoles (prêts de machines et aménagement paysager, par exemple). Des appels ont été lancés pour que l’agri-entrepreneuriat sorte de son statut actuel largement informel pour passer à celui de secteur commercial formel, avec un système plus structuré qui cible d’abord les jeunes.

Lorsque l’agri-entrepreneuriat fonctionne, il contribue à changer l’image de l’agriculture et à en faire une carrière attrayante, surtout pour les jeunes. Aux yeux de certains, c’est une chose que de labourer les champs pour planter des pommes de terre, c’en est une tout autre que de devenir patron d’une petite entreprise qui produit des snacks à base de pommes de terre. Marcia Brandon, directrice exécutive du Barbados Business Youth Trust, revendique une nouvelle image pour le secteur, en particulier pour les jeunes : “L’agriculture doit être regardée comme une activité commerciale qui offre des opportunités de gagner de l’argent et de créer de la richesse”, dit-elle. Guider les jeunes agripreneurs s’est avéré une façon efficace d’augmenter le taux de réussite des startups. Au Sénégal, un programme d’incubation d’entreprises lancé par l’Université Cheikh Anta Diop, le gouvernement français et l’Institut de recherche français pour le développement (IRD) propose conseil et soutien à ceux qui souhaitent démarrer leur propre affaire en Afrique de l’Ouest. La société d’agro-business ABS, gérée par de jeunes agripreneurs caribéens, offre du conseil aux futurs patrons d’entreprise. “Si les jeunes voient des exemples de réussite parmi les entrepreneurs et les bénéfices qui en découlent, ils seront naturellement attirés par le secteur”, ajoute Rhonda Sandy, agent d’ABS.

L’environnement culturel joue aussi un rôle. Dans certains pays ACP, on considère qu’occuper un emploi salarié est un objectif plus légitime que de se risquer à auto-entreprendre. Les orientations prônées par les parents et les écoles reflètent cette attitude tandis que les cadres commerciaux soulignent l’importance d’un appui accru de la part du secteur éducatif. À Sainte-Lucie, un projet de fabrication par des jeunes sans emploi de papier artisanal à partir de déchets de bananiers a échoué tout d’abord, non parce que le marché n’était pas assez solide mais parce que, nous dit la chef de projet Christine Wilson, “les jeunes ne comprenaient pas le concept d’entrepreneuriat. Ils voulaient un salaire”.

Steve Maximay, expert-consultant en affaires caribéen, demande que soient développés davantage de programmes pour la jeunesse, pour stimuler les jeunes agripreneurs dans les domaines des alicaments, épices exotiques, unités d’agro-service spécialisées dans le marketing, unités d’emballage et de transformation de qualité, ou encore de la formation aux services professionnels tels que certification, traçabilité et gestion des ravageurs.

Une main secourable

On n’entre pas dans l’agripreneuriat à la légère. Il faut être prêt à prendre des risques calculés. Il faut aussi être créatif, innovant et débrouillard, prêt à travailler dur sans compter les heures, à gérer le stress et à faire face aux bons comme aux mauvais moments. Une bonne formation agricole est indispensable, mais un renforcement des compétences en commerce, marketing et TIC l’est tout autant. Détermination des prix et des coûts, analyse de rentabilité, planification de la production, marketing, comptabilité, contrats et financement sont autant de domaines que les agripreneurs doivent connaître. Un agripreneur doit se faire une idée claire des tendances du marché. Que veulent les consommateurs et pourquoi sont-ils prêts à payer plus cher ?


À Ste Lucie, le service de consultance de Luvette Louisy a conçu un programme de gestion de la septoriose de la banane basé sur les TIC.

Vendre le projet d’entreprise au financier est l’un des premiers obstacles auxquels est confronté l’entrepreneur. Le crédit seul ne suffit toutefois pas et un bon coup de pouce peut s’avérer décisif. Les efforts de Themba Dlamini à gérer son agro-entreprise au Swaziland semblaient voués à l’échec avant que l’ONG TechnoServe vienne à sa rescousse en négociant un prêt, organisant une assurance-récolte et décrochant la certification GlobalGAP qui lui a permis de pénétrer les marchés internationaux. “Je n’aurais pas pu y arriver seul”, reconnaît-il.

Un projet financé par l’UE au Cameroun et en RD Congo aide les ruraux à développer des micro-entreprises durables, à partir de produits forestiers issus du gommier arabique (Acacia spp.), du safoutier (Dacryodes edulis), du merisier d’Afrique (Prunus africana) et du manguier sauvage (Irvingia spp.). Le Fonds pour les Projets de développement d’innovation (DIV) a été lancé en octobre 2010, pour étendre la discipline financière du secteur privé au secteur public et atteindre les pays du Sud. Un million $ US (environ 736 000 €) ont déjà été investis dans huit projets différents.

Au bout du compte, il faut aussi se rappeler que les agripreneurs n’ont pas à vivre tout cela seuls. L’engagement de partenaires dans la création d’une filière efficace s’est avéré une formule gagnante pour les producteurs de taro (ou dachine) à Saint-Vincent-et-les‑Grenadines. Avec l’aide du Réseau caribéen des agriculteurs (CaFAN), ils ont bâti un important commerce d’exportation impliquant un réseau de cultivateurs, nettoyeurs, calibreurs et emballeurs. Résultat : une belle réussite, avec de nouveaux marchés au Royaume-Uni et sur le continent européen, et des producteurs qui gagnent jusqu’à 300 % de plus que lorsque chacun travaillait dans son coin.


Reference : Spore 151, février - mars 2011

Dernière modification le Mercredi 09 Mars 2011 09:47
 

Focus

ICT and Youth in Agriculture in Africa (Report)